La reconversion du chien de berger

Le recul du chien de troupeau - L'apparition des chiens de gendarmerie, police et douane - l'apparition du chien de guerre - les chiens de recherche et sauvetage - développement des loisirs

Le recul du chien de troupeau

Pour toutes les races bergères, l’unique raison d’être était le travail au troupeau. Travail à la fois de protection du troupeau contre les prédateurs en montagne, et travail de conduite en particulier lors de la transhumance, afin de protéger les cultures du passage des moutons, et de laisser la route libre pour les véhicules. Le nombre de chiens utiles était alors directement proportionnel au nombre de têtes de moutons.

A partir de la deuxième moitié du XIXème siècle, l’élevage ovin a traversé une crise. En effet, l’usage et donc la production du coton s’est développé au détriment de la laine ; et la tentative de reconversion du mouton français vers la viande a été un échec. En effet, au moment de l’ouverture du marché mondial il n’a pas pu faire face à la très forte concurrence américaine, australienne et argentine. De plus, l’élevage bovin était alors en pleine croissance, au détriment de l’ovin. Le cheptel ovin a régressé alors fortement, passant de 33 millions de moutons en 1850 à 10 millions dans les années 70, et les 220 000 bergers de 1862 n’étaient plus que 83 000 en 1882. Parallèlement, la protection des cultures par haie, la clôture des herbages et le remplacement de la transhumance par le transport ferroviaire ont rendu le chien de conduite de moins en moins indispensable. Enfin, la disparition quasi complète des grands prédateurs que sont le loup, l’ours et le lynx du paysage français a posé également la question de l’avenir du chien de protection.

Dès la fin du XIXème siècle, le chien de troupeau n’est donc plus indispensable au berger, même s’il reste un auxiliaire apprécié. Paradoxalement, au fur et à mesure que le nombre de têtes de mouton diminue, la population canine de race bergère ne fait qu’augmenter, et ceci pour toutes les races…

L'apparition des chiens de police, de gendarmerie et de douane

Le chien a toujours été plus ou moins chien de police, puisqu’il servait autrefois à la défense de certaines forteresses, ou était dressé à poursuivre et à arrêter les malfaiteurs. Les premiers chiens pisteurs ont d’ailleurs été employés par les gendarmes frontaliers dès le XVIème siècle. A cette époque et jusqu’au début du XXème siècle, leur rôle principal était d’assister leur maître pendant les arrestations, d’intercepter les animaux passant illégalement les frontières et de détecter certains produits de contrebande comme le tabac (Figure 22). Leur utilisation a ensuite été abandonnée en raison de l’évolution des techniques de fraude et des moyens de surveillance.

Le premier chenil de police a été crée à Gand (Belgique) en 1899, sur la proposition du Commissaire de Police en Chef : Mr Van Wesemael. Les chiens y étaient utilisés pour les rondes de nuit, afin de lutter contre la petite criminalité. Il s’agissait essentiellement de Bergers Belges, et d’un Berger Picard. Suite à cette création, l’idée du chien auxiliaire de police s’est répandue assez rapidement en Belgique et à l’étranger. Celle d’utiliser le chien pour la recherche des personnes disparues est née dans les années 1920, et une expérimentation a été menée dans certaines villes de France, sans être réellement convaincante. Des clubs spéciaux se sont formés, et ont conduit à scinder les chiens de défense en deux catégories : chiens d’attaque et chiens de recherche. En 1914, Paul Mégnin  signale qu’il existait alors des chenils municipaux dans plusieurs villes de provinces, comme Lille, Asnières ou Lyon, « dont les pensionnaires rend[ai]ent quotidiennement de signalés services. Du chien de police est né le chien du garde-chasse qui commence également à se répandre, et l’on songe à utiliser le chien du facteur rural, le chien du gendarme, le chien du garçon de recette, etc.» En raison du succès du chien de police dans divers pays, en particulier en Allemagne, la gendarmerie a décidé à son tour de se doter de chiens en 1943, et a obtenu la cession du centre de Gramat en 1945 pour y installer sa section cynophile. Elle a ainsi obtenu une autonomie complète dans le domaine du dressage des chiens et de la formation des maîtres. Lors de sa création, les chiens étaient au nombre de 69 appartenant à 13 races différentes, et parmi lesquels on comptait 17 beaucerons.

En 1970, la recrudescence du trafic de drogues a poussé la gendarmerie et les douanes à se ré-intéresser au chien de recherche, et depuis cette date le nombre et l’utilisation des équipes cynophiles ne cessent d’augmenter.

Plus récemment, avec le développement du terrorisme, une nouvelle spécialité a été ajoutée  aux chiens : celle de la recherche d’explosifs.

Apparition du chien de guerre

L’utilisation du chien dans les activités militaires ne date pas d’hier, puisque pendant l’antiquité déjà les molosses assyriens étaient, harnachés et porteurs d’armes redoutables, envoyés à l’attaque dans les rangs ennemis pour y semer la panique ; et au Moyen-Age des dogues étaient employés harnachés de costumes à pointes ou porteur de poix enflammée sur le dos. Divers mémoires font également état de l’emploi du chien pendant les guerres du premier et second empires.

L’apparition du chien sanitaire  date de 1895 en France, avec la création par le capitaine Tolet, M. Lepel-Cointet et le docteur Granjux de la Société Nationale du Chien Sanitaire, destinée à développer la préparation et l’emploi de ce chien. C’est en France la seule utilisation reconnue du chien militaire jusqu’au conflit de 1914-18, malgré de nombreuses publications en suggérant d’autres : Tactique et chien de guerre ; le chien de guerre moderne et le nouvel armement du lieutenant Jupin dès 1887, Etude sur la liaison par chiens de guerre du capitaine Lauth, ou encore Le chien estafette du lieutenant Vicard et du sergent Rhode en 1910, qui recensait les résultats obtenus par les chiens de liaison durant les manœuvres du Centre.

La France n’est pas la seule à s’intéresser au chien militaire. En 1910 a été créée, sur l’initiative du lieutenant des carabiniers Van de Pute, la société belge du chien sanitaire, et en 1913 le même lieutenant Van de Pute a eu l’idée d’utiliser le chien de trait de Belgique pour le transport des armes et munitions. L’armée allemande, elle, utilisait le chien dans trois fonctions différentes : chien sanitaire, chien estafette chargé de la transmission de messages, et chien sentinelle. Leur emploi et leur dressage étaient minutieusement réglés, et leurs capacités éprouvées et comparées lors de concours organisés à l’occasion d’expositions canines. Les armées anglaises et américaines utilisaient, elles, principalement des chiens de liaison qui, avec le service des pigeons-voyageurs, formaient une section spéciale du service de liaison dépendant directement de l’état-major.

En Italie, le ravitaillement des premières lignes était confié aux chiens. Les Russes, eux, nourrissaient les chiens exclusivement sous les véhicules blindés, puis les envoyaient affamés et chargés d’explosifs sur ceux de leurs ennemis. Ce n’est pas là l’utilisation du chien en temps de guerre la plus glorieuse…

Le conflit de 1914-18 va mettre à contribution de nombreux chiens, et malgré le scepticisme de certains dirigeants de l’état-major français, le Service des Chiens de Guerre est institué le 25 décembre 1915 et rattaché à la direction de l’infanterie. Il concerne l’utilisation de chiens de liaison, et s’élargira ultérieurement aux chiens sentinelles et de patrouille pour les chiens de race bergère ; aux chiens de trait, de portage ou de garde pour les chiens de montagne, dogues ou mâtins ; et enfin à la dératisation des tranchées et bâtiments, pour les terriers et bouledogues.

A l’entre-deux-guerres, le dressage des chiens se spécialise en fonction de chaque emploi, et dans ce but de nombreux chenils militaires sont créés de façon très structurée, des concours de dressage de chiens de liaison et estafette sont organisés afin d’encourager leur élevage et leur dressage. Pendant le conflit de 1939-45, ce seront cette fois des unités extrêmement spécialisées et entraînées qui vont être utilisées, en particulier par les armées allemande et belge, les chiens ayant été délaissés dans l’armée française comme le déplore le lieutenant colonel Savette en 1929.

Par la suite, l’observation, pendant les conflits, des capacités de chiens à retrouver des blessés va être mise à profit en sécurité civile et aboutir sur la formation d’unités cynophiles de recherche et de sauvetage en décombre.

Le chien de recherche et de sauvetage

Les premiers à utiliser les chiens de décombre furent les anglais, pendant la première guerre mondiale, à l’occasion malheureuse du bombardement de Blitz. La recherche de victimes ensevelies à l’issue des bombardements fut développée également par les allemands, à la même époque.

En 1954, les Etats-Unis, l’Allemagne de l’Ouest et la Suisse se sont unies pour créer des écoles de formation pour les chiens de catastrophe. La même année, la France a émit un projet de formation de chiens de recherche et de sauvetage, mais qui est resté sans suite.

Les premiers chiens dits « de catastrophe » sont apparus en 1977 en France, à l’initiative d’un club canin des Hautes Alpes qui a motivé la création, par l’arrêté préfectoral du 25 septembre 1979, d’une Unité d’Enseignement agréée au centre de la Sécurité Civile de Briançon. Cette unité a assuré la formation et l’utilisation des chiens pour la recherche et le sauvetage des personnes disparues lors de catastrophes, jusqu’en 2000 et était aidée dans ce but par différentes administrations comme l’armée, les CRS, la gendarmerie, les sapeurs-pompiers ; mais les pionniers de cette spécialité se forment souvent à titre individuel. Les premiers chiens issus de cette unité sont intervenus dès 1980 à El Alsnam, en Algérie.

C’est après le tremblement de terre de Mexico en 1985, pour lequel ont été envoyées de nombreuses équipes cynophiles, qu’a été créé et structuré en 1987 un groupe de travail nommé « Equipes cynophiles » au sein de la Fédération Nationale des Sapeurs-Pompiers. Ce groupe comprend des officiers spécialistes de sauvetage-déblaiement, des maîtres chiens moniteurs nationaux et des officiers vétérinaires. Ils participent à l’élaboration des critères de formation pour l’obtention du Brevet National des Chiens de Sauvetage et de Recherches en Décombres, créé par décret ministériel le 13 juillet 1982.

 

Pour ce qui est du chien d’avalanche, l’origine est plus ancienne et l’occasion de nombreuses légendes, dont celle du St Bernard nommé Barry, et de son tonnelet de Rhum, qui n’a certainement jamais existé. Par contre, il est bien vrai que le St Bernard fut le premier chien d’utilité utilisé en montagne. En effet, l’hospice du Grand-St-Bernard a été créé à la frontière entre l’Italie et la Suisse vers 1050, dans le but d’assurer la sécurité des voyageurs contre les dangers de la montagne et les brigands. En 1660, des nobles des environs offrirent des chiens aux moines de l’hospice, afin d’être mieux défendus, et ce n’est pas avant 1750 que le chien est utilisé pour guider les voyageurs dans la neige et le brouillard, grâce à leur sens de l’orientation plus qu’à leur flair : ils ne découvraient les victimes d’avalanche qu’à très faible profondeur. Le chien d’avalanche tel qu’on le connaît est né suite à un fait divers en Suisse, pendant l’hiver 1937-38 : un jeune garçon emporté par une avalanche a pu être retrouvé et sauvé grâce au chien qui l’accompagnait, et qui a gratté la neige jusqu’à le découvrir. Après cet événement, la Suisse a décidé de former ses premiers chiens d’avalanche, suivie par de nombreux autres pays montagneux. En France, il fallut attendre 1973 pour l’organisation du premier stage civil de formation de chiens d’avalanche à Chamonix.

Le développement des loisirs

Le XXème siècle est, entre autres, celui des grands progrès sociaux, avec l’apparition des congés payés en 1947, la semaine de 40 heures, et le développement des loisirs qui en découlent. En effet, selon L’histoire de l’humanité  : « Rien n’est plus caractéristique de la société industrielle moderne que les loisirs nouveaux dont jouissent de larges couches de la population. (…) Pour la première fois dans l’histoire, les masses populaires des pays très industrialisés sont libres de leur temps pendant une partie appréciable de la journée, et libérées aussi chaque fin de semaine des activités de subsistance. » Ce temps libre nouveau, beaucoup vont l’utiliser en pratiques sportives, encouragées d’ailleurs dans le but « d’améliorer la santé des hommes et des femmes, et de permettre leur harmonieux développement physique ». Les cynophiles n’y ont pas échappé, et la pratique des sports canins s’est généralisée, dans un but de sélection certes ; mais aussi pour passer du temps avec son chien, prendre l’air  ; et s’affronter, bien sûr, dans des compétitions afin de déterminer qui est le meilleur, la performance du chien étant toujours le résultat d’un travail d’équipe. On a ainsi pu voir participer un nombre grandissant de concurrents, non plus uniquement dans un but utilitaire, mais simplement dans le cadre de loisirs, comme d’autres jouent au football.

 Le XXème siècle a donc été, parallèlement à l’identification et la fixation des races, celui de la reconversion du chien de berger : conducteur efficace de troupeau à la fin du XIXème siècle, leur nombre n’a cessé de croître, contrairement à celui des troupeaux et bergers qui se sont faits de plus en plus rares. Les chiens sont donc passés  des mains des bergers à celles d’autres utilisateurs, et leur fonction a changée. A la fin du XXème siècle, l’énorme majorité des chiens se trouve entre les mains de particuliers, et sont chiens de compagnie ; mais ils rendent également de grands services en sécurité civile. En effet, les deux guerres mondiales ont forcé les militaires à s’intéresser aux nombreuses possibilités offertes par les capacités des chiens, et voilà nos bergers devenus auxiliaires de police, gendarmerie ou militaires. Ces trois fonctions nécessitant une orientation de la sélection et un dressage particulier, des concours ont été mis en place pour comparer les performances des chiens et de leurs conducteurs.

Premières épreuves sportives

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