Commentaires sur le standard et son évolution

Le standard du Beauceron, comme celui d’autres races, a été revu et corrigé à de nombreuses reprises, en fonction des volontés des dirigeants du club de race, de celles des éleveurs ou de la mode, et toujours avec l’idée de conserver un certain type originel. Trois points ont été au cœur des débats, aboutissant ou non sur des modifications : La taille, les robes, et le fameux double ergot aux postérieurs.

La taille

La taille a varié fréquemment au cours de l’histoire du Beauceron, en tout cas pour ce qui est des valeurs extrêmes tolérés :

1897 : 60 à 70 cm, c’est à dire une marge de 10 cm sans distinction de sexe

            - 1911 :tolérance de 2 à 3 cm au-dessus de la taille maximum pour les sujets véritablement beaux (donc jusqu’à 73 cm). Cette tolérance ne peut être due qu’au regret des juges de l’époque d’écarter de la reproduction des chiens trop grands alors que morphologiquement très intéressants. Ce serait donc la conséquence d’une volonté des éleveurs d’augmenter le gabarit de leurs chiens

            - 1923 : 60 à 70 cm pour les mâles, 58 à 68 cm pour les femelles.

Siraudin, cité par Sauvignac (1983), avait déjà en 1927 une opinion très précise de la taille idéale du beauceron : « Le standard qui laisse 10 cm de marge est, à mon avis, trop libéral. (…) L’éleveur a élevé un autel à la taille : erreur pour un chien de berger qui doit être, au contraire, alerte, pétillant, vif, plein de feu et de sang. C’est dans la petite race, dans le petit format, que l’on trouvera plus facilement le débrouillard, le vif argent nécessaire à la garde du troupeau. (…) A mon avis, le maximum de taille ne devrait pas dépasser 65 cm et c’est beau, puisque les chiens vedettes actuels y arrivent difficilement. »

 - 1955 : minima rehaussés = 63 cm pour les mâles, 61cm  pour les femelles

             - 1965 : volonté de fixer une taille idéale, les différences en plus ou en moins n’étant plus que des tolérances de 2 cm en moins ou 3 cm en plus : 67 cm (65 à 70 cm) pour les mâles et 65 cm (63 à 68 cm) pour les femelles.

Jacques Immele (1972) s’est interrogé en 1971 sur les raisons qui avaient poussé le club de race à modifier les tailles, en limitant l’écart toléré à 5 cm, et en les tirant vers le haut. La réponse donnée par le président du club de race de l’époque, M. Billet, était la volonté de rompre avec la tradition du Berger de Beauce gardien de troupeau, pour en faire un chien de ring avec une morphologie plus adaptée à cette discipline ; réponse qui a surpris l’auteur à l’époque, puisque le Beauceron était déjà un des plus grands et plus puissants chiens présent sur les terrains de ring.

Déjà à l’époque, la volonté des dirigeants du club de race orientait la sélection, devant les impératifs des utilisateurs originels comme les bergers, qui ne manquèrent pas de déplorer l’augmentation de taille, le chien de berger devant selon eux mesurer moins de 65 cm, un chien plus grand manquant selon eux d’ardeur, et sa prise sur le mouton étant plus difficile.

 - 1979 : tolérance sur le minima augmentée de 2 cm chez la femelle. On a donc chez le mâle 67 cm (65 à 70 cm) et chez la femelle 65 cm (61 à 68 cm).

La robe

Les exigences en matière de robe ont évolué dans le sens de l’unification des sujets. En 1911, pas moins de six « couleurs » étaient mentionnées (noir, noir et feu , fauve, fauve charbonné, gris, gris avec taches noires), reprenant les six considérées comme « les plus estimées » dans les statuts du Club du Chien de Berger Français (1896) et suivant les mariages effectués on peut affirmer qu’une dizaine de robes différentes étaient présentes en exposition entre 1897 et 1920, comme le prouvent la consultation du LOF depuis 1893 et les catalogues d’expositions de beauté.

Il semblerait que la robe noire et feu ait toujours été préférée aux autres, en particulier en ville où c’est la seule que l’on pouvait rencontrer. Les autres, déjà bien plus rares, n’existaient plus que dans les campagnes. Cette préférence, associée au caractère récessif des allèles codant pour cette robe, ont contribué à la raréfaction progressive de la plupart des autres robes. 

La révision du standard en 1923 entraîne une réduction stricte du nombre des couleurs à six : noir, fauve, fauve charbonné, gris (= gris marqué de fauve), noir et feu et gris avec des taches noires.

La question des robes est à nouveau abordée en 1965 à l’occasion d’une nouvelle mise à jour du standard, certains argumentant que le vrai Beauceron est noir et feu. Or à l’époque aucune robe ne pouvait être considérée comme étant « celle » du Beauceron, la prédominance du noir et feu n’étant liée qu’à un phénomène de mode et la sélection originelle des reproducteurs bien plus liée à leurs performances de travail qu’à un quelconque critère esthétique. De plus comme le souligne Catherine Dauvergne (1999), on soupçonne un apport secret de sang de Setter Gordon dès le XIXème siècle, de Doberman ou encore de Rottweiller plus récemment pour permettre la fixation du noir et feu chez le Beauceron. Il était donc absolument erroné de prétendre que les sujets de robe noir et feu étaient les vrais Beaucerons.

Une dernière révision du standard en 1969 (appliquée en 1972) a ramené le nombre de robes à deux : le noir et feu et l’arlequin. L’avenir de cette dernière robe semblait plus que compromis en 1972, car comme le décrit Jacques Immele (1972) : « on en signalait un couple chez un éleveur du nord de la France (…). La robe arlequin, d’ici quelques années, aura totalement disparu et, pour l’instant, elle n’est encore mentionnée au standard que pour l’intérêt historique qu’elle représente ».

La variété arlequin était considérée comme disparue dans les années 70, et a pu être réintroduite grâce à Sam , un mâle sans origine officielles, issu d’une beauceronne inscrite au L.O.F. et d’un mâle inconnu (Source Catherine Dauvergne, 1999)

Sam

Sam est donc l’aïeul de tous les Beaucerons arlequins qui naissent aujourd’hui. « Au début des années 70, deux ou trois éleveurs déclaraient de temps en temps de l’arlequin. Entre les années 1987 et 1990, pas moins de 30 éleveurs avec affixe ont déclaré au moins une portée composée d’arlequins » (Catherine Dauvergne, 1999; Claude Pacheteau, 2001).

Le double ergot

Le double ergot

L’ergot, ou « griffe de St Hubert » est un vestige, présent chez certains chiens, du doigt interne du membre, porteur d’une griffe. Parfois il peut être double, donnant l’impression que le chien a six doigts.

La première mention d’un double ergot chez le Beauceron date de 1897, dans l’ouvrage du comte Henry de BYLANDT, Les races de chien, où on pouvait lire « ergoté double aux deux pattes de derrière ». Pourquoi a-t-on sélectionné et donc conservé ce caractère tératogénique? Les raisons avancées sont une meilleure assise et/ou un pied plus sûr. Ces explications sont peu probables car l’ergot est inséré bien plus haut que la zone d’appui du pied, il ne touche pas le sol et est donc totalement inutile. Comme le remarque Sauvignac (1983) : « Si les Bergers de Beauce avaient, tout au début, été sélectionnés avec un double ergot utile, les premières descriptions, les premiers standards auraient bien insisté sur ce point. Les premiers dessins qui remontent à la fin du XIXème Siècle nous auraient montré des Beaucerons avec des ergots bas placés, alors qu’il n’en est rien. Pourtant ces écrits ou ces dessins collaient avec la réalité. »

 L’histoire la plus séduisante est celle du cynologue Tournemine, qui parle en 1892 d’un chien à double ergot s’étant rendu célèbre sur le marché de la Villette par son habileté au travail. Il est cependant peu plausible que ce chien soit à lui seul à l’origine de la fixité de ce caractère. La raison la plus probable est que le double ergot ai été associé avec les aptitudes de berger : « si, dans des lieux complètement différents comme la Savoie, le Massif Central ou les Landes où des bergers, des cultivateurs, possèdent des chiens de race indéterminée pour garder et conduire le troupeau, on pose la question "lorsque que vous voudrez garder un nouveau chien sur quoi vous baserez-vous pour le choisir", dans 60% des cas la réponse est "celui qui aura des doubles ergots" .» (Sauvignac, 1983) Ainsi, le double ergot aurait été un moyen de choisir un chiot efficace au troupeau au sein d’une portée, partant du principe que s’il possédait ce caractère en commun avec son géniteur, il aurait plus probablement les mêmes aptitudes au travail.

Le double ergot est rapidement devenu une exigence, puisqu’il apparaît dans le standard dès 1911. Chez les autres races bergères, il est exigé également au standard du Briard, est facultatif chez le Berger des Pyrénées, son ablation étant recommandée dès la naissance chez le Berger Picard. On peut donc difficilement prétendre, en comparant ces quatre races bergères françaises, que la présence ou l’absence d’ergot simple ou double puisse être associée à des aptitudes bergères.

Le double ergot a eu de nombreux défenseurs et détracteurs. Dès 1914, au cours de l’assemblée générale du Club Français du Chien de Berger, on a émis l’idée de supprimer le double ergot des standards du Briard et du Beauceron. Dès 1917, Paul Mégnin, directeur de l’Eleveur, s’élevait avec force et à plusieurs reprises contre la présence de l’ergot qu’il traitait de « disgracieux et dangereux », en raison des plaies qu’il occasionne souvent. En 1922, dans l’Acclimatation, De Kermadec écrivait qu’il voyait dans l’ergot un caractère tératogénique et d’héritage molossoïde. Puis Dretzen est intervenu en 1927 auprès de la Société Centrale Canine afin que pour les chiens de police et de travail l’ablation des ergots ne soit pas une cause de disqualification.

Les éleveurs et amateurs de Beaucerons par contre semblaient attachés à l’ergot, ainsi que le prouve une pétition reçue par le président du club de race en 1914. Les raisons étaient surtout commerciales : « ainsi rognée, dans ses ornements, notre belle race de Beauceron pourrait s’augmenter de tous les Dobermans que l’Allemagne ne demande qu’à nous vendre, sans que la différence soit sensible entre les uns et les autres ». Cet argument reste discutable, la présence du double ergot ne pouvant être utilisée comme critère de race puisque sa transmission n’est pas systématique. En effet, certains chiots Beaucerons naissent simplement ergotés voire pas du tout, alors que le double ergot est retrouvé sur des portées issues de croisement avec d’autres races.

 En conclusion, le double ergot n’ayant absolument aucune utilité, il n’est conservé que par esprit de tradition. Ceci peut être regrettable, puisque peut conduire à éliminer de la reproduction des sujets par ailleurs très performants, et donc à une sélection erronée. En revanche, les amateurs de Beauceron étant pour la plupart très attachés à cette particularité, ils estiment que le respect seul de la tradition suffit à le conserver.

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