Les races ne se sont vraiment individualisées qu’à partir du XIXème siècle. En effet, il n’existait alors que très peu de relations entre les différentes régions françaises, et dans chacune d’elles se sont développées des races d’animaux, qu’il s’agisse de chiens, de vaches ou de moutons, plus spécifiquement adaptées aux exigences de leur environnement. Les chiens en général, et de berger en particulier, n’avaient aucune valeur commerciale, ils n’étaient donc élevés ni dans un but lucratif, ni par passion pour l’élevage. Ils étaient un outil au service de l’Homme, et étaient choisis dans ce sens. Les individus les plus efficaces étaient mis à la reproduction et croisés entre eux, et sur la portée on ne gardait que quelques chiots, voire un seul. Partant du principe que les aptitudes au travail devaient être liées à une ressemblance physique avec les parents, le chiot le plus proche morphologiquement était conservé, les autres éliminés. La succession des générations a ainsi permit la fixation de caractères morphologiques et d’aptitudes propres selon les régions : le concept de race était né.
En 1785, l’abbé Rozier, dans son Cours d’agriculture, évoque l’existence de deux types de Chiens de Berger : « Dans les pays de plaine, et découverts, où l’on n’a rien à craindre des loups, le chien de berger, plus connu sous le nom de chien de Brie, est plutôt le conducteur, que le défenseur du troupeau ; aussi cette race est-elle plus petite que celle des mâtins. (…) Dans les pays de bois et de montagnes, où les loups sont communs, et font des ravages, on ne doit pas confier le soin du troupeau à un simple guide ; il faut lui donner des défenseurs. (…) Unissez [au chien de Brie] un chien de forte race, vif, hardi, et capable d’attaquer et de terrasser le loup. Vous trouverez ces précieuses qualités dans les mâtins de grosse taille, dont le poil est fourni et épais, ses yeux et ses narines noires, les lèvres d’un rouge obscur, la tête forte, les oreilles pendantes,… ». Cette description sommaire ne peut que déjà faire penser à la robe noire et feu du Berger de Beauce actuel, qui aurait alors été utilisé plutôt comme protecteur que comme conducteur de troupeau.
En 1863, a lieu à Paris la première exposition canine, organisée par la Société Impériale d’Acclimatation, à l’occasion de l’Exposition Universelle. Parmi les chiens d’utilité se trouvaient 13 chiens à oreilles droites, poil noir et fauve, de type lupoïde…il s’agissait probablement de la première apparition officielle du futur Berger de Beauce.En 1866, A. Bénion distingue 4 races principales de chiens : le chien de berger, le chien mâtin, le dogue et le chien courant, et précise que « les chiens de la première catégorie ont des points communs de ressemblance : oreilles droites, museau pointu, taille élancée, poil long ; ils sont bons pour la garde et le travail, mauvais pour la chasse. Le chien de berger est bien le chien de la nature (…) ses qualités naissent en même temps que lui. (…) Il est de taille moyenne ; il a le corps allongé, les oreilles courtes et droites, le museau long. Sa queue est horizontale, peu pendante ; son pelage est rude, long, fauve et noirâtre. Cet animal est très intelligent ; il garde et conduit souvent seul les troupeaux, éloigne et combat les loups. Il est sobre, docile et plein d’affection pour son maître. » Parmi eux, il distingue trois variétés : une destinée à la garde et surtout à la conduite des bandes de bœufs, une destinée à la garde et à la conduite des troupeaux de moutons, une troisième originaire de Brie et « forte en renom ». |
En 1889, le vétérinaire Pierre Mégnin, membre de l’Académie de Médecine, fait dans L’Éleveur une description des quatre différentes races de berger français, parmi lesquelles le « Chien de Berger : ancienne race française ou Chien de Beauce », à l’aspect sauvage et l’abord rude, mais en y regardant de plus près, on découvre chez lui de la sveltesse et même de l’élégance. Il est de taille moyenne et bien proportionné, la tête un peu allongée, à museau étroit mais à front élevé et large indiquant l’intelligence, ses yeux sont petits, jaunâtres et vifs, ses oreilles droites et courtes. Ses membres et ses pieds sont robustes et bien faits. Son corps est couvert d’un poil rude, de couleur noire ou gris bien mélangé en-dessus, souvent jaunâtre en-dessous et en-dedans des membres, et quelques fois avec du blanc aux fesses. La queue est touffue, pendante et à pointe relevée.
A partir de 1893, les deux variétés « de Brie » et « de Beauce » figurent régulièrement dans les expositions canines françaises.
En 1896, sous l’influence du même Pierre Mégnin ; Emmanuel Boulet, exploitant agricole, et Ernest Menaut, Inspecteur Général de l’Agriculture, créent une commission chargée de déterminer les points les plus rationnels fixant les caractéristiques de deux chiens de berger, l’un à poil long nommé « de Brie » et l’autre à poil court « bas-rouge » nommé « de Beauce ». Cette commission entraîne quelques mois plus tard la création du Club Français du Chien de Berger, présidé par Emmanuel Boulet, dont les buts principaux sont « d’encourager par tous les moyens possibles l’amélioration, l’élevage et le dressage de nos races si utiles de chiens de bergers français, collaborateurs indispensables de la ferme, en même temps que fidèles gardiens, et récompenser les meilleurs bergers ».
L’ouvrage du comte Henry de Bylandt, dont la première édition ne présentait pas les races de Bergers Français de Brie et de Beauce, est réédité complété en 1897, et on peut y lire que le chien de Berger de Beauce est « intelligent et rustique, à l’aspect sauvage et rude, de taille moyenne et bâti pour résister à toutes les températures, supporte la faim et la fatigue et se contente d’une chétive nourriture ; il est aussi sobre que laborieux ». |
La même année, une description des deux races faite par le professeur Cornevin, de l’Ecole Vétérinaire de Lyon, dans son ouvrage « Zootechnie spéciale », entraîne la création des premiers standards.
Enfin, le 24 avril 1911, naît le Club des Amis du Beauceron, présidé par Léon Siraudin, dont la première tâche sera de réécrire plus précisément le standard.
En 1914, Paul Mégnin reprend la description du « Chien de Beauce », en faisant état de deux variétés : l’une à poil long quasiment disparue, et l’une à poil court
La première inscription au L.O.F. date de 1893, il s’agit de Bergère de la Chapelle, fille de Sultan et Fidèle, de robe noir et feu, qui mesurait 65 cm. Deux autres chiens furent inscrits avant 1898 : Vénus, femelle de robe noir et feu, et Brissac, mâle de robe gris foncé et feu.
La première guerre mondiale fut responsable d’une pause dans la sélection et la production beauceronnières, en réduisant les rangs des beauceronniers comme ceux des Beaucerons. On peut noter au passage que de nombreux Beaucerons furent envoyés au front, où ils se montrèrent être de précieux auxiliaires. Et selon Gay : « Les beaucerons (…), lorsqu’ils n’avaient pas trop de caractère, furent des chiens de premier ordre ». Après la guerre, le Club des Amis du Beauceron, présidé alors par M. Dretzen, reprit ses activités, et deux affixes commencèrent à se distinguer : le Fief Royal à M. Krémer, et Champerret à M. Bouju. Ce dernier devint l’élevage le plus important des années 30, de part le nombre de reproducteurs et la qualité des produits, et on retrouve son sang dans la plupart des Beaucerons actuels.
La seconde guerre mondiale perturba à son tour la progression de l’élevage canin, les conditions n’étant comme on s’en doute plus très favorables. Les seuls Beaucerons à subsister vivaient à la campagne, ou étaient réquisitionnés pour la garde des sites militaires.
Dès la fin de la guerre, en 1947, une exposition spéciale de race est organisée à Charenton. Elle regroupa environ 50 chiens, mais de qualité médiocre. Ce constat poussa les beauceronniers à chercher de forts reproducteurs afin d’améliorer rapidement la qualité du cheptel ; ainsi qu’à faire découvrir ou redécouvrir la race par des concours de travail inter-races. Le but était également de s’opposer à la concurrence des races étrangères, principalement le Berger Allemand, avec une certaine idée de revanche d’ailleurs. C’est à cette période qu’ont été créées les premières délégations régionales du Club des Amis du Beauceron, afin de faciliter l’information de chacun.
Les résultats ne se firent pas attendre et rapidement on observa une nette progression de la qualité des sujets présentés à l’exposition spéciale annuelle, résultats obtenus grâce aux efforts des éleveurs de l’époque dont on peut citer les affixes : du Fief Royal, de Champerret, du Ruau, de la Balastière, de la Casa Mozza, des Grosses Pierres, des Mouthieux, de Ségui, de l’Allée aux Princes, de la Seiglière, de Gargane, de la Plaine des Quints, ainsi que l’Ecole nationale d’agriculture de Grignon (affixe « de Grignon ») et la bergerie nationale de Rambouillet (affixe « de la Bergerie Nationale ») qui produisaient des Beaucerons en fonction de leurs propres besoins pour le travail sur les troupeaux en leur possession.
En 1963, le Club des Amis du Beauceron décida de mettre en place la Sélection Nationale, au cours de l’Exposition Nationale d’Elevage. Il s’agissait d’avoir une idée plus précise du potentiel génétique du cheptel, sans pour autant risquer une dégénérescence à cause d’une consanguinité trop poussée. Le principe était de sélectionner une poignée de Beaucerons parmi les meilleurs et d’établir des croisements, dont les produits étaient jugés et contrôlés par le club : les dirigeants du club décidaient des mariages, et certains chiots étaient placés chez des cynophiles favorables au programme d’amélioration. Ce fut le début des cotations. Parmi les 45 chiens présents ce jour là, 6 d’entre eux ont été sélectionnés ce qui équivaudrait actuellement à la recommandation. Il s’agissait de Iolan de la plaine des Quints, Kady, Landru, Ira de Trémonvilliers, Dyna de la plaine des Quints et Irka.